Beaucoup auront connu Pierre Céré comme le mouton noir de la course au couronnement de Pierre-Karl Péladeau (PKP), celui qui ne se gênait pas pour critiquer la culture péquiste des 20 dernières années.
Une militante du Bloc Québécois m’avait même dit le soupçonner de travailler secrètement pour Québec Solidaire (QS). Elle s’était sentie un peu tarte quand je lui avais fait remarquer que Pierre Céré avait affronté nul autre qu’Andres Fontecilla, co-porte-parole de QS, pendant la campagne de 2014 dans Laurier-Dorion.
C’est là que je l’ai connu; pas en personne, mais en pancarte.
C’était sa première expérience de politique partisane et c’est aussi le préambule de Coup de Barre. L’ouvrage revient sur sa participation à la course à la chefferie du Parti Québécois (PQ), avant d’ouvrir sur sa vision politique du Québec et des pistes de solutions pour le futur, en particulier celui du PQ, qu’il appelle à refonder. Il encourage à la protestation, mais amène du même souffle des propositions concrètes sur un large éventail de sujets.
Il n’est pas le premier à parler de refondation : à l’aube de la course de 2014-2015, l’ex-député péquiste et fondateur d’Option Nationale Jean-Martin Aussant demandait au prochain chef péquiste de tenir « un congrès de refondation duquel naîtrait un nouveau grand parti souverainiste avec des gens de tous les horizons et toutes les ressources regroupées en son sein ».
En acceptant l’appel de la première ministre Pauline Marois à se présenter pour le PQ en 2014, Céré a craint d’être intrumentalisé comme caution de gauche pour le parti, puisqu’il oeuvre pour la défense des droits socio-économiques depuis une trentaine d’années et qu’il coordonne le Comité Chômage Montréal depuis 1997. Il a finalement accepté avec ces mots en tête : « il y a de la place pour l’honnêteté partout ». Malgré des déceptions au sein du PQ, Céré continue à croire que le parti peut incarner de nouveau ce qui a été un des rares gouvernements sociaux-démocrates en Amérique du Nord.
Avec Coup de barre, Céré livre plusieurs anecdotes de la course à la chefferie de 2014. Il y aborde, d’un ton moqueur, les débats déjà consensuels et les discours franchement décousus de PKP. Il dénonce vivement la Charte des valeurs, une dérive identitaire selon lui, fruit de la conception erronée selon laquelle les immigrants resteront une menace pour la souveraineté québécoise. PKP avait maladroitement soutenu l’idée à la fin d’un débat en affirmant qu’« on n’aura pas 25 ans devant nous pour le réaliser [le pays]. Avec la démographie, avec l’immigration, c’est certain qu’on perd un comté chaque année. »
Lorsqu’on regarde ces débats, une chose est claire, bien qu’il ait une expérience politique limitée, Céré est de loin le meilleur orateur. Il attaque de front et met en lumière les contradictions entre un PQ à l’opposition et un PQ au pouvoir, par exemple sur le sujet de l’exploitation et du transport des hydrocarbures. Il dérange, certes, mais on le laisse parler quand même.
Là où d’autres ont décidé de se retirer, pour passer à QS ou à la Coalition Avenir Québec (CAQ), Céré a voulu entretenir le débat au coeur du parti, persuadé que le PQ peut redevenir « un parti incarnant la modernité, porteur d’un projet emballant, connecté sur la population québécoise, sur sa diversité, capable de la représenter et de mettre de l’avant une vision claire des transformations à entreprendre. »
Dans son livre, sa critique touche autant la gauche que la droite, et elle est souvent plus détaillée pour la gauche; Céré refuse la partisanerie idéologique et n’accepte pas l’étiquette de « gauchiste » qu’on lui appose. Bien qu’il ait de l’estime pour QS et ses militants, il soutient que l’action politique de ce parti restera limitée aussi longtemps que le projet politique qu’il porte ne se décloisonnera pas de la gauche.
Le pôle idéologique autour duquel il développe son argumentaire est avant tout le progressisme, qui n’est ni à droite, ni à gauche. Du point de vue de Céré, la structure sociétale héritée de la Révolution tranquille, qu’est le modèle québécois, est le point de départ pour « reprendre le chemin de nos conquêtes sociales », le fil conducteur de son programme politique.
Ce programme ne se limite pas aux droits socio-écononomiques, mais propose aussi des axes de développement économique pour réduire les inégalités par la création de richesse. Céré propose notamment une participation accrue dans le secteur des ressources naturelles avec, en premier lieu, la transformation au Québec des matières premières qui y sont extraites.
L’électrification des transports est aussi pour lui le prochain pas à franchir pour sortir complètement des hydrocarbures au cours des 30 prochaines années. Le Québec, où déjà la moitié de l’énergie consommée est renouvelable, pourrait ainsi devenir le premier pays (en cas d’indépendance) à effectuer cette transition nécessaire. Cela réduirait du même coup le déficit commercial québécois de plus de 10 milliards chaque année; un gain énorme.
La souveraineté reste un objectif fort de Coup de barre, pas comme une fin en soi, mais comme l’aboutissement d’un projet de société rassembleur qu’on doit lier à la perpétuation et au développement du modèle québécois. Céré ne trouve pas normal qu’on se contente d’une province dépossédée de son territoire et de ses voies de communications, qui ne peut écrire toutes ses lois et tous ses traités. Il souligne qu’il est primordial qu’on prélève toutes les taxes et les impôts sur le territoire québécois avant de se targuer d’être un gouvernement responsable. Il rejoint ainsi le programme du PQ sous Jacques Parizeau avec le L.I.T., Lois-Impôts-Traités, d’ailleurs repris comme élément central du programme d’Option Nationale.
Son approche de l’indépendance est basée sur l’action et l’ouverture. Il appelle à bâtir des majorités en rebâtissant la confiance et en surmontant les clivage partisans. On entend souvent dans les cercles souverainistes qu’il faut aller expliquer aux citoyens les bienfaits de l’indépendance et les rassurer comme de pauvres brebis égarées loin des « saintes évangiles de l’indépendance ». Pour Céré, se redéployer dans l’espace public est d’abord un exercice d’écoute, pour chercher à « comprendre et recommencer à bouger avec la société civile ».
Coup de barre est un livre animé d’un optimisme profond et de la certitude que tout peut changer, que le Parti Québécois peut redevenir le véhicule du progrès social nécessaire à une société québécoise affranchie des clivages identitaires.
Céré finit sur une adresse à ses deux fils qui, comme beaucoup de nos jours, sont pessimistes devant un « monde qui semble courir à sa perte ». Il veut leur communiquer cette conviction profonde que les choses changent, que notre condition s’est améliorée au fil du temps et que c’est grâce aux gestes et aux paroles de chacun qu’une société progresse.
Suite au triomphe de PKP, on parlait du début d’un nouveau cycle pour l’indépendance; Céré en a plutôt vu la fin. Il l’a perçu comme le dernier soubresaut d’une classe d’appartchiks désespérés préférant la fuite en avant plutôt que le renouvellement.
La démission de PKP, survenue juste avant l’impression du livre, présente une opportunité de renouvellement pour le PQ; il reste à voir si un candidat reprendra cet appel à la refondation de Céré, car lui ne sera pas de la course cette fois. Contrairement aux politiciens qui publient des livres pour relancer leur carrière politique, on comprend que pour Céré, le but était avant tout de faire le point sur ce chapitre où il a été candidat à la chefferie du PQ.
Photo de couverture : Pierre Céré (Photo: Facebook)