DIY Biology : les labos du peuple

Depuis 10 ans, le milieu scientifique assiste à l’essor de plus en plus rapide d’un phénomène inédit : le biohacking, ou biologie participative. Biologistes professionnels, étudiants et amateurs autodidactes sont en effet de plus en plus nombreux à mener des recherches, après le travail ou la fin de semaine, dans des laboratoires faits maison.

Leur objectif est de mener des expériences eux-mêmes, en dehors des laboratoires officiels, pour arriver à de nouvelles découvertes en biologie. Ils s’intéressent en particulier à la génétique, veulent comprendre comment fonctionne l’ADN, pour pouvoir le modifier et l’améliorer. C’est par exemple le pari de London Biohackspace, un groupe londonien, qui travaille à modifier la génétique de certaines bactéries de manière à ce qu’elles produisent de la cellulose utilisable pour des imprimantes 3D.

D’autres s’adonnent aussi à une forme plus radicale de biohacking et expérimentent directement sur leur propre corps, dans le but d’en améliorer les capacités. En mars 2015, le groupe californien Science for the Masses a administré des gouttes oculaires à base de chlorine e6 à un volontaire, pour améliorer temporairement sa vision nocturne. Malgré les risques qu’elle impliquait, l’expérience a fonctionné.

Et plusieurs grandes villes du monde voient maintenant fleurir les groupes de biohackers. Que l’on soit à New York (BioHackersNYC), Paris (La paillasse), Singapour (DIYbio Singapore), Buenos Aires (DIYbioBA) ou même Montréal (Bricobio), il est possible de rejoindre un collectif de biohacking.

Le mouvement commence aussi à s’attirer la reconnaissance des milieux académiques. Des universités comme Harvard, Berkeley et UCLA ont fait du biohacking un sujet privilégié de diverses conférences scientifiques.

Un émule de l’esprit hacker

Le biohacking est en outre un phénomène intimement lié au hacking informatique. À la différence des crackers, ces hackers qui exploitent les faiblesses des systèmes informatiques, les hackers traditionnels cherchent à repousser les limites des systèmes sur lesquels ils travaillent. Dans un esprit d’exploration ludique, ils s’efforcent de mettre au point des programmes toujours plus performants et intelligents.

Et le biohacking trouve sa source dans ce même esprit, ainsi que dans une volonté de faire soi-même, avec des moyens limités, des expériences et des découvertes. Le partage du savoir acquis est par ailleurs un principe fondamental du mouvement biohacker. On cherche à prendre en main et améliorer son environnement, au profit des gens ordinaires et des consommateurs, sans avoir à dépendre des grosses corporations ou des gouvernements.

Cette manière novatrice d’approcher la connaissance a mené à la naissance d’initiatives comme l’encyclopédie Wikipédia ou le logiciel libre : des entreprises participatives, où chacun est libre de contribuer à un ensemble qui tend vers une perfection, une accessibilité et une exhaustivité toujours plus grandes.

Un phénomène dangereux?

Mais cette démocratisation croissante de la biologie comporte certains risques et inquiète des autorités gouvernementales comme le FBI. Qu’arriverait-il par exemple si on libérait dans la nature, volontairement ou par erreur, des pathogènes développés en laboratoires? Ou encore si, comme c’est arrivé cette année, quelqu’un s’implantait une puce indétectable permettant de prendre le contrôle de téléphones intelligents?

Le biohacking ouvre des perspectives intéressantes pour la recherche, puisqu’il a fait émerger toute une communauté parallèle de chercheurs. Affranchis des intérêts des corporations, universités et gouvernements, ces biohackers peuvent orienter leurs recherches dans la direction qu’ils souhaitent.

Cependant, cette absence de contrôle extérieur soulève en même temps la question de potentielles dérives. Des codes de conduite sont en cours d’élaboration, mais la seule existence de tels codes ne garantit pas qu’ils soient respectés.

Écrit par Manuel Ausloos-Lalanda.

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Photo de couverture: Waag Society - Flickr


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