Le 6 août 1945 au matin, à 8h15, un bombardier Boeing B-29 américain, baptisé Enola Gay, largue une bombe à uranium de 16 kilotonnes, surnommée ironiquement Little Boy, sur la ville industrielle de Hiroshima, au Japon. 16 kilotonnes, c’est 16 000 kilos de TNT: une puissance énorme, même si Little Boy n’est qu’une bombe A et qu’une bombe H (à hydrogène) est au moins 1 000 fois plus puissante. À titre d’exemple, la bombe H Ivy Mike a dégagé 10 mégatonnes d’énergie, soit l’équivalent de 10 millions de kilos de TNT, lors de son explosion, en 1952. Little Boy, un engin de 4,5 tonnes, explose ce jour-là à 600 mètres du sol et la température à l’hypocentre monte jusqu’à 1 million de degrés celsius. 75 000 personnes meurent sur le champ et 50 000 des suites de leur irradiation ou de leurs blessures. C’était il y a soixante-dix ans et l’on commémore aujourd’hui le triste anniversaire du premier usage de l’arme la plus ravageuse qui soit de mémoire d’homme. Mais comment en est-on arrivé là? Quels sont les facteurs qui ont mené à cette décision terrible? Et que reste-t-il aujourd’hui dans la mémoire humaine de cet événement funeste?
L’Enola Gay et son équipage, avec le pilote, le colonel Paul Tibbets, au centre - US government [Domaine public], via Wikimedia Commons
Aujourd’hui encore, il existe un débat qui divise toujours, quant à savoir si les États-Unis n’auraient pas pu éviter d’user d’une arme aussi dévastatrice. Ceux qui soutiennent la décision des Américains, comme l’historien Robert P. Newman (voir son ouvrage Truman and the Hiroshima Cult, 1995), défendent que le Japon aurait encore combattu pendant des mois, avant de se trouver vidé de ses forces. Selon eux, ces mois auraient été très meurtriers pour les civils comme les militaires, très coûteux et, en somme, plus destructeurs que l’effet combiné des deux bombes. C’est en plus sans compter que le peuple américain est las de la guerre et que le président Truman veut en finir, notamment en vue des élections de 1948. Et il est vrai que le Japon s’est gagné, pendant la Seconde Guerre mondiale, une réputation d’adversaire acharné, avec entre autres les fameux kamikazes et des tactiques de combat qui n’admettent souvent pas la retraite. Il faut aussi savoir qu’il y encore au Japon, en 1945, un courant militariste vigoureux. Ce sont ces mêmes militaristes qui ont motivé les politiques belliqueuses du Japon dans les années 1930, ainsi que son entrée en guerre aux côtés des forces de l’Axe. Or, ils ont encore, à l’été 1945, une influence politique considérable au Japon et refusent l’idée de capituler.
La bombe Little Boy, avant son chargement dans l’Enola Bay (la porte de la soute est visible, en haut à droite) - US government [Domaine public], via Wikimedia Commons
Le panache de fumée de l’explosion de Hiroshima, qui s’élève jusqu’à 12 000 mètres d’altitude. C’est en voyant cela, que le capitaine Lewis, membre de l’équipage du Enola Gay, lâche: «Mon Dieu, qu’avons-nous fait?» - Photo prise par le tireur arrière de l’Enola Gay, le Sgt. George R. Caron [Domaine public], via Wikimedia Commons
Maintenant, que reste-t-il aujourd’hui de ces événements tragiques? C’est d’abord des marques profondes dans la conscience du peuple japonais. De la guerre, est sorti un très robuste mouvement pacifiste, opposé à une nouvelle guerre et, bien sûr, à l’usage d’armes atomiques. Le premier ministre actuel de Japon, Shinzō Abe, un conservateur du Parti libéral-démocrate, cherche depuis longtemps à réviser la constitution japonaise, écrite après la guerre, sous supervision américaine. Il veut permettre à son pays, qui se contente jusqu’ici de forces réduites, les Forces japonaises d’autodéfense, de se constituer une vraie armée, ce qui pour l’instant est constitutionnellement interdit. Pourtant, M. Abe se heurte à la résistance de très nombreux japonais, qui sont toujours aujourd’hui fondamentalement opposés à la guerre, malgré les politiques de plus en plus agressives et inquiétante du voisin chinois. Pour ne citer qu’un exemple actuel de ce courant pacifiste, Hayao Myazaki, un réalisateur japonais de films d’animation que l’on décrit parfois comme le «Disney japonais», passe un message anti-guerre très fort dans des films comme Nausicaä de la vallée du vent (1984), Porco Rosso (1992) ou encore le très connu Princesse Mononoké (1997).
Le dôme de Genbaku, à l’origine le Palais d’exposition industrielle du département de Hiroshima, un peu plus d’un mois après le bombardement - Shigeo Hayashi [Domaine public], via Wikimedia Commons
Lorsque l’on s’intéresse à des événements comme les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, on comprend sans peine la peur terrible que l’on avait, pendant la Guerre Froide, qu’une guerre atomique éclate. Le monde a été choqué et fasciné par les événements d’août 1945 et l’empreinte est restée profonde dans les esprits. À ce jour, Hiroshima et Nagasaki restent les seuls usages d’armes atomiques en temps de guerre et, espérons-le, le seul événement de ce type dans l’histoire humaine.
Le dos d’une hibakusha, en 1948. Ses brûlures suivent le motif du kimono qu’elle portait le jour du cataclysme, les parties sombres ont attiré et concentré les radiations, alors que les claires les ont reflétées, protégeant ainsi la peau - U.S. National Archives and Records Administration [Domaine pubic], via Wikimedia Commons
Écrit par Manuel Ausloos-Lalanda.