Depuis maintenant plusieurs années, les nouvelles technologies et les réseaux sociaux sont devenus pour la plupart d’entre nous une partie intégrante de notre quotidien. Que cela soit pour étudier, pour communiquer, ou pour nous distraire, nous sommes de plus en plus connectés. Dans le contexte actuel où l’isolement est préconisé, voire exigé, nous nous tournons davantage vers les réseaux sociaux.
Instagram est la plateforme de médias sociaux qui connaît le taux de croissance le plus élevé depuis 2015. Selon l’agence Orixa media, plus de 3,8 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux, un milliard d’individus sont sur instagram dont 400 millions regardent et publient sur les stories quotidiennement. Si Facebook reste l’application la plus utilisée au monde, l’entreprise a tout de même racheté Instagram en 2012. En effet, celle-ci semble avoir pénétré la vie de la jeunesse, qui y voit une opportunité de se montrer, de développer sa créativité et de communiquer. Il semblerait néanmoins que la sur-connexion ait par ailleurs des effets moins attrayants sur plusieurs plans.
Instagram entraîne des comportements addictifs et peut être source de mal-être en exacerbant notre tendance au narcissisme. Or, ce réseau est également source de plaisir. Le sociologue Américain Brain Jeffrey Fogg, notamment connu pour avoir été le professeur du co-fondateur d’instagram Kevin Systrom à l’université de Stanford, explique notre addiction à Instagram par une étude comportementale. Il utilise trois éléments afin de commenter l’attitude d’un individu : le déclencheur, la capacité à entreprendre une action, et la motivation. Ainsi, le déclencheur (ce qui nous pousse à poster du contenu) se traduit par une forme d’anxiété, soit la peur de passer à côté de quelque chose. La capacité à entreprendre une action, qui dans l’absolu nécessiterait certaines aptitudes, est dans cette situation quasi nulle, car publier du contenu sur instagram est à la portée de chaque individu. Quant à la motivation, elle découle d’un désir d’obtenir une validation sociale, en se montrant sur les réseaux par exemple. Ainsi, instagram semblerait être un outil efficace pour gérer nos angoisses.
B.J. Fogg explique que l’homme est un animal social en constante quête d’approbation afin d’avoir le sentiment d’appartenir à un groupe. Instagram est alors intégré par notre cerveau comme l’outil d’approbation ultime : en comblant ce besoin, notre cerveau sécrète de la dopamine nous faisant éprouver une sensation agréable. La réaction physique provoquée par la réception de mentions « j’aime » à une photo ou une vidéo publiée, se traduisant par la sécrétion de l’hormone du plaisir, est susceptible de créer une addiction.
Cependant, notre rapport à Instagram ne se réduit pas seulement à une simple sensation de plaisir provoquée par l’approbation d’autrui. Le poste peut aussi représenter une tentative de réponse aux troubles de représentation auxquels nous sommes sujets, en particulier durant l’adolescence. L’estime de soi est le sentiment qu’un individu éprouve à l’égard de lui.elle-même, incluant la considération et le respect de soi. Elle découle d’un processus introspectif, ou l’individu évalue sa propre personne en comparaison avec un soi idéalisé. Si certains sociologues estiment que les réseaux sociaux contribuent à augmenter sa propre estime en permettant à l’utilisateur de contrôler son reflet, d’autres revendiquent le contraire. En effet, en publiant, nous choisissons une image que l’on souhaite renvoyer et vers laquelle nous voulons nous orienter. Si un.e individu.e publie une photo de lui.elle entouré.e d’amis, c’est qu’il/elle aspire à être une personne social.e. Si quelqu’un publie du contenu culturel, c’est que cette personne aspire à être perçu.e comme un.e intellectuel.le. En créant un « moi » idéal à travers les réseaux sociaux, nous prenons donc le risque d’être exposé.e à énormément de stress émotionnel, puisque nous prenons constamment le risque d’épuiser notre image, ou de la détériorer. De plus, si l’on pose comme principe que toute introspection nécessite un degré de transparence, de soi à soi, alors un contrôle trop assidu de notre image risque de troubler notre quête identitaire. De ce fait, l’utilisateur met sa propre estime en péril, l’exposant à ses réactions émotionnelles.
Le caractère addictif et déstabilisant des réseaux sociaux témoignent en partie de la nécessité d’être prudent et modéré dans leur utilisation.
Ces réseaux sont aussi un outil fondamental de marketing et de publicité. Le livre « L’Âge du capitalisme de surveillance » publié en 2019, écrit par la sociologue américaine et professeure à l’université de Harvard, Shoshana Zuboff, élabore une théorie selon laquelle une nouvelle forme de capitalisme est née des nouvelles technologies : le capitalisme de surveillance. Elle explique qu’au début des années 2000, une sévère crise économique s’abat sur la Silicon Valley, où de nombreuses start-ups sont sur le point de faire faillite face à la menace de la rétraction des investisseurs. Ceci incite la compagnie Google à créer un nouveau concept garantissant une rentabilité sur le long terme : les « données prédictives ».
En collectant et en monétisant des données personnelles permettant de prédire les attentes du consommateur, l’entreprise est parvenue à se rentabiliser de manière exponentielle, et à établir un nouvel ordre économique où nos données sont dorénavant extraites et exploitées par les géants de la Silicon Valley : Facebook, Google, Amazon… afin d’en fournir à leurs clients privés.
Shoshana Zuboff dénonce cette nouvelle forme de capitalisme qu’elle nomme « capitalisme de surveillance », comme étant omniprésente, partout à l’œuvre et anti-démocratique. Puisqu’il est aujourd’hui impossible de télécharger une application sans que celle-ci ne cueille nos données personnelles, nous pouvons nous demander: est-ce la conséquence inévitable de la technologie? C’est ce que les entreprises pionnières dans cette pratique essayent de nous faire entendre. Or il s’agit simplement d’une technique économique pouvant être sujette à des régulations garantissant une gestion des données plus soucieuses de l’utilisateur.
Aujourd’hui, le consommateur est manipulé à des fins commerciales en toute légalité. Sur instagram par exemple, les publicitaires utilisent un système permettant de brouiller la distinction entre les contenus commerciaux et le contenu des comptes suivis, provoquant en nous le désir de consommer des produits non-essentiels.
Effectivement les nouvelles technologies ont de nombreux aspects positifs indéniables. Elles nous aident à vivre, permettent la propagation de la culture et sont source de distraction en ces temps d’isolement. L’émergence des réseaux sociaux a permis la démocratisation de l’information et de l’expression. Chaque individu a le droit de s’instruire et de s’exprimer, sans que cela ne repose sur aucune forme explicite de hiérarchie, même si l’audience varie d’un utilisateur à un autre. Un badge certifié bleu par exemple, que l’on trouve sur instagram, facebook ou Twitter signalant un certification des profils et des pages liés à une entreprise, une personnalité ou une marque, implique une audience large. Néanmoins, l’utilisation d’internet, et plus particulièrement des réseaux sociaux, doit être considérée avec plus de prudence. De la part de l’utilisateur en s’éduquant sur les risques émotionnels et psychologiques qu’ils représentent. De la part des Etats, en mettant en place des nouvelles lois et institutions chargées d’encadrer ces mécanismes et de protéger l’autonomie des citoyens.