Cette année marque la fin imminente d’un système de pensée capitaliste ayant assuré la prospérité de la mode pendant de nombreuses années. Toutefois, la réalité nous pousse à croire en la remise en question d’une économie capitaliste qui fut fragilisée par les changements décisionnels dans les domaines administratifs, législatifs, commerciaux, environnementaux et sanitaires. Ces changements influencent non seulement notre capacité d’adaptation, mais ils se font ressentir, entre autres, à travers notre style vestimentaire collectif.
Ce style vestimentaire collectif peut alors devenir une stratégie de résilience pour réagir aux divers manquements de la mode depuis plusieurs années. Ces manquements rassemblent, par exemple, les lacunes en termes d’inclusivité corporelle et ethnique. Malgré les changements opérés au sein des lignes éditoriales de la mode, l’année 2020 a mis en lumière le problème de la délocalisation du marché des vêtements qui évolue rapidement face à l’incertitude de l’emploi, à la diversification des marchés, à la crise climatique et aux incertitudes économiques. Tous ces facteurs réunis contribuent à bouleverser notre style vestimentaire.
En effet, le style se transforme dans des séances photos de style homemade qui multiplient de manière exponentielle sur les réseaux sociaux, pour renouer avec le concept d’accessibilité de la mode devenant alors une priorité. Toutefois, ces photos Pinterest ou Instagram supposées exprimer un style personnel sont souvent enfouies. Les réseaux sociaux illustrent-ils donc vraiment le potentiel du style par les interactions qu’ils engrangent ?
Afin de nourrir un certain besoin d’appartenance à une communauté, le milieu de la mode doit se réinventer et montrer son côté humain ainsi que son individualité stylistique. Alors que le style provient d’un besoin d’affirmation interne, la mode, elle, illumine rarement cette cohésion entre le corps et l’esprit… En effet, la mode est fondée sur l’exploitation des ressources collectives, aux destinations et clientèles exclusives, ce qui explique son besoin constant de nouveauté et de production de tendances en série.
Les traumatismes des derniers mois ont donc considérablement transformé la définition de la mode. Cette dernière n’intègre pas suffisamment la résilience et la mentalité adaptative dont le style peut bénéficier sur le plan de conditions sociales, économiques, et sanitaires. Ces conditions sont essentielles dans une situation précaire et instable comme celle des mois précédents, remettant en question nos choix vestimentaires. Ceux-ci sont devenus un discours social, souvent limités à tort à notre mode de vie, alors qu’ils symbolisent une perspective beaucoup plus globale de notre sentiment de contrôle de soi. Un choix vestimentaire peut sous-entendre une détresse personnelle ou collective, et peut procurer une impression de sécurité lorsque l’individu s’expose sur les réseaux sociaux, ou encore lors de ses interactions sociales.
En remettant au goût du jour une certaine saveur stylistique liée à l’authenticité et au romantisme nostalgique rappelant les poèmes de Paul Verlaine, certains d’entre nous pourront s’attacher aux tendances vestimentaires du passé afin d’accepter les surprises que l’avenir réserve. La stratégie normative employée par les grands distributeurs de l’industrie de la mode convoque une fin douce des tendances éclectiques et trop nombreuses. La quantité plutôt que la qualité des tendances saturent la confiance des consommateurs, qui deviennent prisonniers d’un faux sentiment de sécurité. Peut-on résoudre le règne d’une mode normative par un style résilient et adaptatif ?
À quoi peut-on s’attendre ? Peut-on dire que le mouvement « do it yourself » mettra en valeur la consommation locale de produits frais et artisanaux dans un contexte où l’approvisionnement en matières importées est réduite ? Peut-on croire à la viabilité d’une garde-robe capsule ? Peut-on croire au courant déconstructionniste visant à réinventer les proportions du vêtement ou bien au minimalisme dans les formes futuristes des vêtements à venir ? Notre agenda vestimentaire du futur adoptera-t-il un style essentialiste utilitaire ?
En somme, je crois en quelques prédictions stylistiques dont la mode s’inspire. Les formes amples, par exemple, rappelant les chemisiers pyjamas traditionnels et habillés à encolure ouverte, font leur apparition dans les meetings sur Zoom, du fait de leur capacité à paraître plus ou moins formelle. Le traditionnel sweat shirt a lui aussi déjà conquis tous ceux étant à la recherche de confort et de versatilité depuis le début de la pandémie. Sans compter le retour des canevas faits de cotons simples et bruts, jouant avec la tradition ainsi que les normes, avec des bases comme le noir et le blanc. Ces canevas traditionnels et revisités permettent de mieux transcender les frontières de la répression, de la récession, et de l’obsession hédoniste. Les possibilités évoquées par de tels canevas créent une expérience de vie reflétant la pluralité des points de vue au gré des divers alternatives d’imprimés de types floraux, écossais, ou rayés.
En ces temps d’incertitudes, je revois l’importance de l’aisance et du mouvement dans une tenue vestimentaire, afin d’y coordonner des accents surréalistes telles des créatures ou encore des dessins fantaisistes rappelant les rêves. L’histoire du mouvement surréaliste, qui fut popularisé du milieu des années 20 aux années 30 par Elsa Schiaparelli, André Breton et Freud, nous informe quant à l’importance d’intégrer des éléments liés à l’inconscient et aux rêves en temps de crises sociales et économiques.
Je constate également une autre tendance émergente, dans l’utilisation de la résilience stylistique, où se cache la déconstruction des codes vestimentaires classiques dont ceux du tailleur, des jeans, et des vêtements restrictifs empêchant la libération de la fluidité des genres. Il m’est pourtant difficile de saisir la couleur de la décennie en perpétuelle mouvance. Notre capacité à manier et adapter notre style vestimentaire s’avère donc être une force de résilience, permettant de nuancer le difficile contexte sociopolitique et socioéconomique de notre nouveau retour à la normale. L’esthétisme stylistique joue donc sur les consciences sociales et environnementales afin de remédier à l’inconfort sous-jacent.