Comment pourrions-nous décrire le courant stylistique à l’ère de la vidéoconférence et de la récession mondiale ? Le vêtement s’avère un signe distinctif de la critique de l’essentialisme confrontées à vouloir séduire, conquérir, braver et rester dignes malgré les diverses strates de notre solidarité collective parfois éparses, parfois divisées…
Pourtant, le style est intimement le produit de la tension entre le fast et le slow fashion. La rapidité de la consommation des marques iconiques du fast fashion synonyme de faible coût, piètre conception, ou encore de l’abus des inégalités sexuelles et du colonialisme. Celle-ci s’accentue malgré la transition vers une garde-robe capsule, minimaliste et intemporelle.
Avec la fracture grandissante entre l’emprise identitaire du vêtement, des plateformes de commerce en ligne en augmentation, et celle du déclin du commerce au détail, l’industrie du vêtement et la réalité des travailleurs ne concordent plus du tout. Le modèle de l’industrie du vêtement demeure sous la loupe du regard colonial et consiste en un modèle archaïque de la révolution industrielle du dix-neuvième siècle, basé sur l’offre et la demande. Alors que l’offre devient abondante et l’amoncellement de vêtements difformes s’accumule, où peut-on retrouver une stratégie de restructuration du stylisme personnel ? L’offre sur les grands manitous numériques est telle que la consommation devient insuffisante pour financer et soutenir un tel cycle de vie vestimentaire.
Certainement, les soldes de vêtements des derniers temps ont tenté les fervents de la mode à assouvir leurs intérêts d’émancipation stylistique. Toutefois, un subterfuge se dissimule derrière ces liquidations, remettant en question le modèle de production textile actuel. L’émission de produits chimiques émise par la production de vêtement n’a cessé d’accroître avec la délocalisation du « fabriqué localement » pour passer au « fabriqué… ». Difficile de se situer parfois avec l’étiquetage des vêtements, souvent trompeur et manquant de précisions quant à l’empreinte écologique de ceux-ci. Même si un vêtement est marqué « fabriqué localement », il serait intéressant de connaître le coût de production ayant été investi dans la communauté, à chaque étape, afin de faciliter la mise à niveau de normes sociales et environnementales. Si, par exemple, nous pouvions lire l’identité du vêtement comme celle de la valeur nutritive d’un aliment, aurions-nous la même pulsion d’acheter ?
En ce contexte de pandémie qui frappe nos esprits encore fortement, il est inévitable que la mise en place d’une consommation durable devienne une priorité afin d’éviter une demande de vêtement dépassant les 102 millions de tonnes en 2030 d’après le WWF. Des certifications et des récompenses annuelles décernées aux entreprises les plus écologiquement avancées pourraient contribuer à un effort soutenu dans la question d’une gestion saine de la production de vêtements. Avec un tel incitatif ainsi que des précisions quant à la provenance des vêtements pour le consommateur, ce dernier pourra faire un choix éclairé quant à son souhait individuel de consommation, représentant en moyenne vingt kilos de vêtement par an. Est-ce vraiment considéré comme socialement normal ? Non seulement les stratégies marketing du « green washing » ou des tentatives écologiques viennent brouiller le portrait de nos choix individuels et de nos valeurs en matière de mode, mais ces stratégies viennent également désensibiliser le concept d’un style personnel, flexible et inventif pouvant mesurer l’impact du port d’un vêtement à plus de deux. Quel est le but derrière un vêtement mal construit, et qui ne peut être porté d’une seule manière ?
L’éducation se veut la clef pour apprivoiser l’entretien et la compréhension textile, ainsi que la compréhension d’un assemblage de matières premières avec moindre gaspillage et teintures moins toxiques. Le processus de création du vêtement est trop souvent omis par les grands producteurs de masse du vêtement. Même les lettres ouvertes ou les certifications textiles sont trop souvent lorgnées de manière non systématique et sans réel contrôle. Avec une telle vérification de la qualité, qui se veut encore plus rigoureuse que celle du taux de toxicité des pesticides dans les fruits et légumes, les normes appliquées pourront engendrer une révolution stylistique. Cette dernière permettra d’analyser les manières de s’approprier un vêtement dans le but de modifier des paradigmes autant racials qu’écologiques, en passant par des questions de fluidités sexuelles.
J’estime que pouvoir tangiblement visionner des capsules éducatives, dans les magasins de détail ou sur des plateformes numériques respectives aux divers marchands textiles, pourra semer une source d’inconfort ou au mieux de réconfort quant aux conditions dans lesquelles un item mode a été soumis. Je crois que prôner une éducation universelle sur la récolte du coton, la production du polyester, ou la transformation de la fibre à son passage à l’atelier contribuera à un déclin de la consommation personnelle vestimentaire. Quelles sont les limites du déni de l’industrie de la mode ?
La crise sanitaire de la Covid-19 a déjà exacerbée les commandes impayées par les grandes enseignes de vêtements n’ayant pas honoré leurs contrats et leurs productions des saisons à l’avance. Un système fondé sur la consommation continuelle de nouveaux vêtements ayant un court cycle de vie se veut insoutenable. Alors qu’un vêtement devrait être porté au moins quarante fois, la majorité d’entre eux aboutissent au rebut étant donné la nature du matériel et de sa conception dépourvue de normes ou de spécialisations. L’absence de la spécialisation se dénote par le travail à la chaîne, réduisant la possibilité du contrôle de qualité à chaque étape. Produire en continu dans l’assouvissement du désir de séduire le consommateur brime la nature profonde du vêtement : une extension identitaire.
Les travailleurs et les travailleuses, dans ses usines, sont ainsi forcés à l’exploitation et menacés par l’exportation clandestine, la perte d’emploi, les craintes de séparations familiales, les contextes guerriers de terrorisme moderne… À l’ère du marketing moderne, l’inclusion et la transparence sont de mises afin d’offrir une pérennité d’esprit.
À présent, fonder une marque sur le « branding » ou le discours social ne pourra plus être viable. Personnellement, je ne me reconnais plus dans le discours marketing destiné à vendre le rêve d’un statut social plus élevé, d’une apparence plus digne et sophistiquée, d’une approche durable et humaine lorsque derrière ces arguments se cachent des droits humains bafoués et une terre qui souffre d’une incertitude constante. Déjà, des marques de luxe connues pour leur emprise capitaliste, leur expertise et leur horizon traditionnellement plus caucasien entrevoient la conception d’une collection prêt-à-porter plus soutenable et renouvelable pour l’environnement, comme Gucci par exemple. Nommée « Off The Grid », la collection recyclée et biologique de Gucci imaginée par le directeur artistique Alessandro Michele peut semer la controverse quant aux lacunes de la maison de couture en terme de manque de diversité.
En effet, le statut privilégié de la marque n’attire pas toutes les strates de la société, et ce depuis plusieurs années. Même son célèbre logo peut paraître comme compromettant l’éthique sociale au dépourvu de petites entreprises locales beaucoup moins visibles. Toutefois, il faut illuminer le cheminement de la marque et la tendance remarquée chez Gucci avec les égéries Jane Fonda, le rappeur Lil Nas X, les chanteurs King Princess et Miyavi et David Mayer de Rothschild. Dans cette dernière campagne publicitaire, le discours de Gucci favorise un nouveau dialogue rarement abordé dans l’industrie du prêt-à-porter de luxe. En reconnaissant peu à peu les efforts d’une industrie croulant sous la critique, certaines marques pourront renaître et cesser de servir le « fast-fashion » sous les apparences du monde rêvé de la mode glamour, afin de servir une réalité fondée sur le bien-être collectif.
Si notre esprit grégaire en a souffert pendant la pandémie et nos points de repères quotidiens physiques et mentaux en ont souffert aussi, le futur se révèle encore plus incertain face à la résurgence d’un style en série qui achève sa trajectoire.
Le secteur de la mode à faible coût tire à sa fin avec l’indice de l’inflation du prix des vêtements qui risque d’augmenter avec les difficultés de maintien des conditions de travail saines et écologiques. Dans des environnements parfois insalubres, la promiscuité, le manque d’accès à l’éducation, l’obsession capitaliste ainsi que le manque de main-d’œuvre dans les pays visant la production locale, le système de la surproduction du vêtement est remis en cause.
Comment pallier cette obsession pour le « faible coût » et « l’enrichissement » de la mode suprématiste et privilégiée qui ne cesse de nourrir le regard de l’éditorial mode sans offrir un style universellement accessible et personnel ? Comment faire respecter toutes les strates de la société rêvant d’un style évolutif et surtout d’une nouvelle page de notre histoire collective ?