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Le printemps austère du mouvement étudiant

Le printemps austère du mouvement étudiant

Le mouvement populaire de ce printemps s’affirme comme une grève sociale en réaction aux mesures d’austérité et à l’économie du pétrole qui se distingue de la lutte estudiantine de 2012. On peut donc se demander pourquoi les associations étudiantes semblent présentement être les actrices prépondérantes de la mobilisation. Or, outre le fait que le droit de grève étudiant ignore les balises juridiques du droit syndical, les mesures annoncées par le gouvernement provincial touchent de nombreux secteurs publics, notamment celui de l’éducation. En septembre 2014, le gouvernement a annoncé des coupures de 172 millions de dollars dans le budget de fonctionnement de l’ensemble des universités du Québec. Ces coupures comprennent notamment la suppression complète du soutien à l’insertion professionnelle des étudiant-e-s. Au niveau de l’UQAM, ces mesures ont pour conséquence la baisse anticipée de 2% de salaire des enseignant-e-s et du personnel de soutien ainsi que le retrait de 150 cours. McGill se soumettra quant à elle à une coupure de 15 millions qui implique un gel d’embauche et le report d’achat d’équipement. Plus généralement, certains cégeps et universités connaissent l’abolition de services de relation d’aide, la prévision de mises à pied, ainsi que la suppression complète de postes et de départements. Greffées à des coupures budgétaires au niveau de la santé et des services sociaux, de la fonction publique et des programmes destinés aux femmes - pour n’en nommer que certaines - ces mesures ont mis le feu aux poudres pour bon nombre d’étudiant-e-s et de professeur-e-s, d’où une mobilisation sur les campus et dans les rues.

A l’UQAM, ce vaste conflit bifurque à l’interne et aboutit à la journée du 8 avril, fortement décriée dans les médias. En réponse aux mandats de grèves votés par certaines associations étudiantes, l’université subit un crescendo de mesures répressives dont la présence accrue de personnel de sécurité sur le campus, des convocations pour l’expulsion de neuf étudiant-e-s en raison de leurs activités politiques ainsi qu’une injonction de la Cour supérieure prohibant «toute activité destinée ou ayant pour effet d’affecter le déroulement de quelque activité organisée par ou pour l’UQAM» et leur encouragement. Des organismes de défense des droits humains, tels que la Ligue des droits et libertés, qualifient ces mesures de répression politique. Conséquemment, plusieurs associations étudiantes, notamment l’Association étudiante des cycles supérieurs en droit, ont adopté des mandats de grève générale illimitée pour marquer leur opposition à ces décisions du rectorat.

À la lumière de ces observations, on peut inférer que le conflit de 2015 diffère manifestement de celui de 2012. Les revendications économiques et sociales semblent plus difficiles à circonscrire au niveau médiatique. En effet, elles visent «la privatisation des propriétés collectives», ce qui englobe de nombreux secteurs, par opposition aux contestations d’il y a trois ans qui se résumaient aisément à un chiffre (1625$, pour ne pas le nommer) pour de nombreux médias. Or, la plupart des revendications actuelles demeurent quantifiables. Dans la lignée de la loi spéciale de 2012, les universités connaissent de nouvelles problématiques de gestion interne des conflits, particulièrement en ce qui a trait aux modalités de la démocratie étudiante et à leur répression juridique.

L’éducation demeure un enjeu majeur du printemps 2015, dans l’optique où elle nous ramène à la dimension politique de l’université et à l’action citoyenne de ses étudiant-e-s et professeur-e-s. Ces enjeux sont intrinsèquement liés, par exemple dans la mesure où l’on dénonçait en 2012 l’impact des dons privés sur l’indépendance des universités. Ces dons, particulièrement gargantuesques, dans les institutions anglo-saxonnes seraient selon certain-e-s symptômes d’un «capitalisme universitaire», qui orienterait la recherche en fonction des intérêts privés et commercialiserait ses résultats.

Si des mouvements sociaux en marge du droit ont acquis des protections sociales désormais juridiquement protégées, la grève étudiante s’inscrit également dans ce spectre de revendications. Historiquement, les universités reposaient sur une organisation corporative du XIIème siècle entre les maîtres et les élèves, qui formaient une communauté solidaire et indépendante des autorités ecclésiastiques. Or, les statuts de l’université de Paris accordaient le droit de faire «sécession» aux étudiant-e-s si leurs droits sont bafoués, droit qui sera exercé dès 1229. Plus récemment, en Haïti, le milieu étudiant est le premier à s’être insurgé contre la loi martiale et la loi électorale sous la dictature de François Duvalier. En Europe, la Charte de Grenoble de 1946 a transformé les associations étudiantes en des syndicats étudiants. Ceux-ci sont à l’origine de grèves nationales dans les années subséquentes en réaction à des mesures du gouvernement français qui visait à diminuer leurs acquis budgétaires. Au Québec, tandis que la notion de syndicalisme étudiant émerge à la fin des années 50, l’automne 1968 connaît sa première grève générale qui défend la gratuité scolaire, la création d’un régime de prêts et bourses et la création d’une deuxième université de langue française à Montréal: l’UQAM. Les milieux étudiants des universités de McGill, Laval, Bishop’s, Montréal et Sir Georges Williams (depuis devenue Concordia) en étaient les acteurs majeurs. Incidemment, l’UQAM même est née de mobilisations étudiantes et du collectif «Opération McGill Français».

Bien que la grève étudiante soit souvent marginalisée par rapport à son pendant syndical, elle est dotée d’assises historiques considérables, qui s’inscrivent dans les contestations actuelles. Plus qu’une incongruité belligérante, l’action de grève est à l’origine d’acquis sociaux désormais bien ancrés dans le droit et transcende l’éducation en cantonnant les étudiant-e-s comme sujets de leur milieu académique plutôt qu’objets. Pour enchérir, si le printemps est l’aube de la grève sociale, elle devra faire face à de nombreux défis juridiques et associatifs.

Ecrit par Alexandra Bahary, étudiante en Sciences juridiques à l’UQAM.


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