La situation sanitaire actuelle a été à l’origine de nombreuses préoccupations, particulièrement auprès des jeunes adultes. En effet, les derniers mois ont été remplis d’incertitude, de peur, et il a été difficile de garder une notion du temps qui passe. Alors, nous nous sommes tournés vers des échappatoires afin d’oublier notre quotidien et de nous évader, si ce n’est le temps de quelques minutes. Si certains se sont tournés vers le cinéma ou l’art, c’est dans la littérature que j’ai trouvé du réconfort.
Un roman en particulier a constitué la parfaite évasion : « En Attendant Bojangles » de Olivier Bourdeaut. Ce roman est plein de tendresse et de douceur mais aussi de mélancolie, le rendant particulièrement touchant. Ceci a été déterminant dans le succès suivant sa parution il y a maintenant deux ans. Cependant, il m’a semblé prendre une toute nouvelle dimension en ces temps particuliers. Ce qui était triste est devenu tragique, ce qui était divertissant est devenu drôle et surtout, ce qui était fascinant est devenu tout simplement magique.
L’intrigue du roman est d’une simplicité étonnante. Nous suivons les déboires quotidiens d’une famille de trois. Malgré cette accroche élémentaire, le roman est absolument enchanteur. Un petit garçon nous raconte du haut de ses neuf ans la vie fantasque, bohème et romantique de ses parents. Mais le jeune garçon, nous nous rendons compte très vite, a une compréhension douteuse du monde d’adultes qui l’entoure. Et pourtant, bien qu’il ait une petite tendance aux fausses interprétations des événements, il n’invente rien. Ce mode de vie absolument loufoque, « sans queue ni tête » comme le répètent les personnages, est bel et bien le leur.
L’histoire qui nous est narrée est entièrement centrée sur la maman du jeune garçon. Celle-ci est charismatique et extravagante, elle croque la vie à pleine dents, ne se refusant rien et offrant à ses proches une abondance d’amour et d’amusement. Elle préfère, par exemple, se faire appeler par un prénom différent tous les jours. Alors, leur vie suit le cours de ses caprices divers: ils ne vivent que la nuit, l’enfant ne va pas à l’école et ils ont pour animal de compagnie une grue africaine rare. Et ce, sans jamais se soucier de troubles communs tels que leurs moyens financiers. Devant les yeux du garçon, les parents dansent toute la nuit. Et pourtant, cette vie unique et fantastique a un coût: après avoir entamé la moitié du livre, on se rend compte que cette euphorie constante a de graves répercussions (il vous faudra lire le roman pour en savoir plus!).
La nostalgie est un thème omniprésent dans ce texte. En effet, si les débuts du roman sont idylliques, la situation dégénère rapidement. Les personnages et le lecteur se tournent alors vers un temps passé et heureux afin d’y trouver du réconfort. Il me semble que ce thème est particulièrement marquant dans notre monde actuel. Il est aujourd’hui facile de regarder notre vie avant la pandémie et de l’idéaliser, car nous étions au moins libres de choisir. Même si nous ne profitions pas forcément de cette liberté, savoir qu’elle existait était néanmoins une source de réconfort. Aujourd’hui, nos choix sont largement plus limités, notamment dans nos interactions sociales.
Pour ma part, il est donc facile de vivre par mes expériences passées, et de regretter mon manque de liberté actuel. Cet état d’esprit a été déterminant dans mon appréciation du roman. Celui-ci a des débuts euphoriques, qui laissent aller le lecteur à la rêverie d’une vie fantasque et sans limites ni barrières. Par la suite, un ton plus sombre et, de fait, nostalgique a eu plus tendance à refléter mon état d’esprit actuel. Ainsi, la variété de tons présents au sein du roman a réussi à capter mon attention en agissant comme source de réflexion et d’échappatoire en ces temps actuels.
Ma lecture a été d’autant plus vivante et engageante du fait que le roman est basé sur une chanson : « Mister Bojangles » de Nina Simone. Dès la première mention de cette chanson dans le livre, j’ai imaginé son importance dans l’histoire, au vu du titre du roman. En effet, écouter cette chanson dans les moments heureux et les moments qui le sont moins est un événement récurrent pour les personnages d’Olivier Bourdeaut. Celle-ci agit en quelque sorte comme la bande-son de leur vie. Vu l’omniprésence de cette œuvre, j’ai moi-même en tant que lectrice été tentée de l’écouter au fur et à mesure de ma lecture. J’ai alors pu apprécier à quel point la tonalité et l’esprit de la chanson sont en alignement avec l’atmosphère du roman. La chanson est simultanément incroyablement heureuse et incroyablement mélancolique, tout en restant simple, sans trop en faire. Alors, la complémentarité avec le roman est presque parfaite, et, lors de ma lecture, j’ai pu être livrée non seulement à mon imagination, mais également à une sensation physique. Cet appel à d’autres sens m’a marquée, d’une part comme originale, et d’autre part comme faisant partie intégrante de mon expérience. Ainsi, si vous n’avez pas encore eu le bonheur de découvrir ce roman, je ne peux que trop vivement vous conseiller d’accompagner votre lecture par cette expérience musicale.
Bourdeaut parvient à nous entraîner hors du temps, hors de nous, pour vivre la fabuleuse aventure de cette famille extravagante. La période actuelle a rendu ma lecture particulièrement poignante et touchante, une expérience partagée par de nombreuses personnes à qui j’ai recommandé de le lire. Ainsi, la prochaine fois que vous ressentez le besoin de vous échapper quelques heures, cette lecture pourrait vous emporter autant qu’elle l’a faite pour moi.
Crédit Image : Edition Finitude