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L’Unique Apparition d’une Parole, Si Imagée Soit-Elle

« Qu’est-ce qu’un scénario ? » n’est pas une bonne question. Un scénario est une production écrite pour le cinéma. On pourrait aller plus loin, distinguer entre les écrits, chercher le style scénaristique. Mais ça n’apporterait pas grand-chose. La vraie question pour le scénario, ce n’est pas ce qu’il est, c’est ce qu’il fait.

Le scénario raconte une histoire. Soit. Mais le réduire à cela, c’est encore n’y rien comprendre. Les plus grands scénarios touchent quelque chose d’essentiel, au-delà de l’histoire. Ils montrent que dans la parole, et spécialement dans la parole cinématographique, on peut atteindre une beauté qui se couple à l’éclat d’une évidence.

La spécificité de la parole cinématographique, c’est d’être au plus proche du réel – l’art en plus. Qu’explore le scénario ? La profondeur des mots, des phrases. Ce qu’on y dit, ce qu’on y cache. Les dialogues de cinéma sont plus abrupts que les dialogues de roman : ils n’ont pas l’occasion d’être enrobés par la description. Le scénariste aspire à cette mise à nu d’une parole à même l’image. Oubliées les circonvolutions, oubliée la retenue hypocrite des mots sur le papier. La parole cinématographique est toujours violente, même quand elle se veut civile(les dialogues du Café de Paris).

Mais ne réduisons pas l’activité du scénariste aux dialogues. Nous serions de mauvais goût. Il ne s’agit pas que de déployer une littérature de l’image – Les Enfants du Paradis, La Maman et la Putain, les films de Blier… pour ne prendre que des exemples francophones. Le scénariste fait plus : il organise et oriente la parole, il la construit dans l’image.Une parole violente dans le vide, c’est du rien. Une insulte en l’air : personne n’est visé, personne n’est touché. Mais une parole violente orientée vers une forme cinématographique, voilà en quoi réside l’action du scénario.

Car le scénario est déjà tout orienté vers ce qui va le dépecer, le contourner, le reléguer au rang vulgaire de « texte » : le tournage. Soit. Acceptons cet état de fait. Revendiquons-le même ! Le scénario doit être composé pour n’être que transitoire, temporaire.Il est un point d’appui qu’on oublie aussitôt qu’on peut s’appuyer sur l’image. C’est si peu, un scénario. Ce n’est qu’un début. Mais les débuts ne créent-ils pas les mouvements artistiques ? N’oublions pas Archimède : « Donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai le monde. » Interprétons cela littéralement pour le scénario : il est proprement un levier.

Très pragmatiquement, dans l’économie du cinéma – mais c’est un élément à ne jamais oublier, car un film n’existe pas sans sa production – le scénario est ce qui permet de lever des fonds. Plus artistiquement, au moment du tournage, le scénario est ce qui permet de lever l’histoire, de la hisser vers quelque chose qu’il a intuitivement prévu – sans jamais l’expliciter, telle est la tâche non pas tant du réalisateur que de l’image finale.

Le scénariste a plus d’une tâche dans son activité. Faire tenir ensemble la belle parole, la visée d’une forme cinématographique (car le scénario est déjà une description d’images) et le support du film en train d’être tourné, voilà ce que fait le scénariste – voilà en tout cas l’interprétation personnelle que j’aie de l’activité scénaristique. Aussi je reprends à mon compte, et en la modifiant, la formule de Walter Benjamin définissant l’œuvre d’art comme « l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il ». Je définirai donc, non ce qu’estle scénario, mais ce que faitle scénario, l’action du scénario, comme l’unique apparition d’une parole, si imagée soit-elle.

Créer une parole cinématographique apte à impulser l’image qui va suivre, voilà à mon sens la motivation du scénariste – si tant est qu’on ait besoin de motifs pour prétendre à l’exigence que demande l’activité d’un créateur.

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