Après deux années de colocation avec une amoureuse inconditionnelle de Notre-Dame de Paris, j’ai enfin été convaincue de m’attaquer à ce chef-d’œuvre (dont les 940 pages de descriptions sont suffisantes pour dissuader même les lecteurs les plus avides). Je me suis retrouvée rapidement plongée dans la lecture, en grande partie grâce à une particularité dont j’avais rarement - si ce n’est jamais - entendu parler en conjonction avec les œuvres de Victor Hugo. En effet, bien que ses romans soient réputés pour leurs descriptions minutieuses, il est rare qu’ils soient qualifiés de comiques. Et pourtant, Notre-Dame de Paris est rempli d’ironie et de cynisme qui apportent un ton étonnement moderne à ce classique de la littérature française.
Contre toute attente, on retrouve dans l’écriture de Hugo des marqueurs humoristiques qui font écho à la Génération Z. En effet, sa tonalité sarcastique rappelle la « meme culture », c’est-à-dire la culture internet associant des images à des remarques comiques et qui domine les réseaux sociaux ainsi que l’humour de la jeunesse actuelle. Si l’entièreté du roman est animé par cette tendance ironique, les réflexions qu’on retrouve dans les premiers chapitres sont suffisamment révélatrices pour être convaincu.e que Victor Hugo est un auteur plus actuel aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été auparavant.
L’une des tendances récentes ayant enflammé les réseaux sociaux consiste à se moquer de la génération baby boomer en répondant d’un ton moqueur « ok boomer » lorsque la déchéance de la jeunesse est évoquée. En effet, l’idée que les générations futures soient vouées à l’échec n’est pas nouvelle, mais elle a pris une toute autre dimension depuis l’apparition des nouvelles technologies - violemment diabolisées par ceux et celles qui ne sont pas né.e.s dans un monde où elles ont toujours existées.
Cependant, on découvre dans Notre-Dame de Paris que cette tradition est vieille comme le monde. Victor Hugo, qui fait entendre sa propre voix narrative dans ses œuvres, se situe lui-même en 1830. Les faits racontés, en revanche, ont lieu en 1482. L’auteur a donc naturellement un recul sur les événements qu’il narre, et se permet de proposer une critique ironique de la société parisienne de l’époque, qu’il trouve fondamentalement inchangée depuis le temps des cathédrales. Le personnage prenant le rôle du « boomer » observe le comportement des enfants qui l’entourent. Il les attribue aux nouvelles « maudites inventions du siècle », et finit par mettre en cause l’imprimerie qui, selon lui, est à la racine de tous les maux, tuant ainsi la librairie. Notre génération peut facilement s’identifier à ces reproches, car aujourd’hui, soit 500 ans plus tard, on peut entendre ces mêmes accusations de la bouche de nos aînés, bien que celles-ci concernent à présent la technologie et non pas l’impression.
Une autre tendance que l’on retrouve dans l’humour de la Génération Z est la sensation de paresse et d’une impuissance à faire face aux événements de la vie réelle. Il n’est pas rare d’entendre cette génération plaisanter sur le fait qu’il est toujours préférable d’éviter tout ce qui pourrait être un poids, même quand ce sont des responsabilités insignifiantes. On ressent dans l’écriture de Hugo une tendance similaire. À plusieurs reprises, il s’adresse au lecteur et lui fait part d’une fainéantise à décrire la scène : « Je pourrais dire au lecteur : allez voir [la salle], et nous serions ainsi dispensés tous deux, moi d’en faire, [le lecteur] d’en lire une description telle quelle ». Ce genre d’apostrophe envers le lecteur peut paraître insignifiante au premier abord, mais la répétition de proclamations de ce genre confère un aspect comique qui rappelle un humour très moderne. On peut, de surcroît, rire quand immédiatement à la suite de telles déclarations, l’auteur se lance dans des descriptions grandiloquentes, extrêmement longues et détaillées de la scène.
Somme toute, et contre toute attente, des traces de l’humour de la Génération Z sont donc bel et bien présentes au sein de Notre-Dame de Paris. Si le roman contient évidemment des marques d’humour d’un temps passé, il est tout de même remarquable d’y trouver autant de références plus modernes. Il semblerait que l’attrait de pouvoir retrouver un point de vue aussi actuel dans des oeuvres aussi mythiques puisse être utilisé comme portail, afin de susciter l’intérêt de la jeune génération pour la littérature classique.