On and Off MURAL: quand l’art urbain devient public et légal - Partie 4

Zola - Decolonize Street Art

Dans la première et la seconde partie de ce dossier, je suis allée à la rencontre d’artistes muralistes ayant participé à l’édition 2015 du festival MURAL pour recueillir leurs impressions sur le festival et l’évolution du street art - nos photos ici. Je me suis ensuite assise avec Pierre-Alain Benoît, directeur des relations publiques et des partenariats du festival, pour mieux comprendre les origines du festival, les motivations derrière celui-ci, mais aussi son mode de fonctionnement. Après avoir ainsi étudié plusieurs aspects du festival lui-même, pour clore ce dossier aussi complètement que possible, j’ai voulu avoir un point de vue extérieur au festival, ancré malgré tout dans le milieu du street art montréalais. Je me suis donc tournée vers Zola, une artiste visuelle qui a participé aux collectifs Decolonize Street Art et OFF-MuralES. C’est ce dernier collectif qui nous intéresse tout particulièrement, puisqu’il a émergé dans le sillage de la première édition du festival MURAL, en se posant comme une alternative engagée et non commerciale, avec pour mission de représenter les laissés pour compte du festival de LNDMRK. J’ai abordé avec Zola plusieurs questions, allant du festival MURAL lui-même, à des problématiques inhérentes à l’espace urbain montréalais, notamment le colonialisme et la gentrification.

***

Tu as été invitée à la première édition de MURAL. As-tu hésité avant de refuser ou est-ce que ça a été vraiment immédiat?

J’y ai réfléchi, c’est sûr, parce que vu que c’était la première fois, on savait vraiment pas à quoi ça allait ressembler. La première fois que j’ai appris que ça allait arriver, j’ai vu des pubs, je me disais «des vraiment gros noms qui viennent pas d’habitude à Montréal!». Là, j’étais excitée, mais je savais pas trop quoi en penser. Puis, tranquillement pas vite, je voyais la programmation passer et je me disais «y’a juste des gars blancs. Où sont les gens de Montréal? Où est la diversité?». Là, j’étais pas sûre.

Dans ce temps-là, j’étais dans un collectif de tricot graffiti, et j’ai remarqué qu’il n’y avait vraiment pas non plus de présence féministe qui était reliée à ce que l’on faisait. […] Sur la page Facebook du festival, j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas de tricot-graffiti. On m’a répondu que si je voulais, on pouvait me trouver de quoi […]. On m’avait envoyé une espèce d’invitation de dernière minute pas vraiment arrangée. Quand j’ai vu ça, j’ai commencé à me poser des questions. Je les ai d’ailleurs exprimées, et j’ai demandé si notre collectif allait vraiment être dans la programmation, si notre nom allait apparaître. J’ai demandé ce qu’on allait recevoir: je sais qu’il y a des gens qui avaient des compensations financières […]. Ils ont dit qu’ils n’avaient plus de budget… même pour rembourser nos matériaux. Donc, il faudrait qu’on dépense pour faire un truc pour enjoliver leur festival sans que notre nom ne soit nulle part? Je trouvais que c’était poche comme invitation, donc j’ai dit non. J’ai contacté plein d’autres artistes femmes - ou non-hommes - des personnes de couleur. «On est tous pas dans MURAL, est-ce qu’on se rencontre pour en parler?» C’est ce qui a formé OFF–MuralES.

http://zolamtl.tumblr.com/post/83976380110

J’ai demandé à certain-e-s artistes de MURAL si l’art devait avoir une portée socio-politique au-delà de l’oeuvre en soi et j’ai vraiment eu des réponses différentes. Pour toi, est-ce que l’«art pour l’art» a un sens?

L’art pour l’art, ça me fait chier vraiment. J’ai quand même des notions d’histoire de l’art, pis je sais que c’est un «thing» […]. Ça existe du point de vue de beaucoup de gens, mais pour moi l’art, c’est un vecteur social. C’est un vecteur et un produit aussi, parce que les artistes sont né-e-s dans un certain contexte, donc ils vont produire à partir de leur réalité et des dynamiques de pouvoir qui y sont reliées. Leur art va être relié au contexte social dans lequel ils baignent.

Est-ce que tu aurais une définition du street art qui serait différente de celle que le public s’en fait? Crois-tu que des initiatives légalement encadrées peuvent cohabiter avec le street art ou aurais-tu une définition que tu aimerais revendiquer par rapport à celle que l’on associe à l’art public?

C’est clairement une discussion pour laquelle il n’y a pas de consensus. De plus en plus, les médias ou les gens qui sont moins informé-e-s sur la culture et son histoire vont utiliser cette définition plus facilement et sans nécessairement que ça soit spécifique; ça peut être juste quelque chose dehors, pis ça va être du street art. Mais de ma perspective, il faut que ça soit illégal pour que ça soit vraiment du street art. Une murale, quelque chose de commandé, comme les initiatives comme MU qui font beaucoup de murales à Montréal, dans ma tête, c’est pas du street art, c’est du muralisme. Je veux pas dire que c’est mauvais, c’est juste autre chose. L’art public aussi, c’est vraiment différent parce que c’est des fonds du public.

Et du privé.

Oui, et souvent ça ressort dans les festivals comme MURAL, par exemple avec la grosse murale de Rogers. La première année c’était une joueuse de tennis, l’année passée, il y avait un cellulaire avec une balle de tennis. Là, cette année, il y a encore une raquette sur la murale en question. […] C’est vraiment évident que c’est une grosse publicité.

Photo par Nickie Robinson - http://ifwallscouldtalkmtl.com/

Tu as évoqué ta participation à OFF–MuralES. J’imagine que c’est un collectif qui regroupe de personnes très différentes, mais y a-t-il un tronc commun?

Je pense que c’était vraiment varié. Je peux vraiment difficilement parler pour tout le monde, parce qu’il y avait vraiment des intentions différentes chez les gens qui se sont rassemblés. Au final, c’est pour ça que ça a pas perduré je pense, parce qu’on avait des visions et des objectifs trop variés; on voyait les choses différemment. Mais je pense que ça a quand même été une réussite, parce qu’on a amené un point de vue alternatif. Même si on a pas eu beaucoup de visibilité, on était quand même présentes. Je pense que la seule chose qui nous a rassemblées, c’est qu’on avait des critiques à apporter au festival MURAL - et on les a rassemblées dans le zine.

Dans ce même ordre d’idées, peux-tu parler en quelques mots de Decolonize Street Art (DSA) et de ce qui t’as amené à y contribuer?

Ce sont deux choses différentes, mais reliées. Officiellement, elles sont complètement séparées. DSA c’est pas non plus en même temps que MURAL, et ç’a été conçu indépendamment de MURAL. Mais le lien pour moi est mon réseau social, politique et artistique, c’est mes camarades et moi: on a des projets toujours différents, mais toujours autour de nos valeurs. Donc, c’est dans un continuum de militantisme artistique à Montréal. DSA, c’est très proche de OFFmurales sur le plan des valeurs, mais c’est très diffèrent dans le sens où ç’a été conçu avec des objectifs super clairs et une mission qui est d’amener une perspective anti-coloniale et de rassembler des artistes autochtones à Montréal, pour faire de l’éducation sur le colonialisme.

http://zolamtl.tumblr.com/post/124376670463

Quelle serait la principale critique que tu ferais de MURAL ou d’autres évènements qui se revendiquent de l’art public?

J’ai une critique de type structurelle et des perspectives politiques anti-oppressive, donc j’analyse ça au niveau méta: MURAL, comme plein d’autres, c’est complètement dans le système capitaliste. Donc, ça a plein d’incidences oppressives de plein de manières. Ça pourrait être que, comme j’ai dit, les artistes, vont être payés plus ou moins dépendamment de leur notoriété. Alors que le street art, c’est sensé être une communauté subversive. Après ça, évidemment, il va y avoir des questions de commercialisation, dans le sens où MURAL, c’est un festival ou comme participant-e, tu ne peux qu’aller acheter des choses. Tu vas te promener sur St-Laurent, pis tu va acheter des choses à la vente de trottoir, tu vas acheter un billet pour aller à telle place… Oui, tu vas regarder de l’art gratuit, mais c’est vraiment conçu comme quelque chose qui existe grâce à son aspect commercial. Dans le concret, je sais que leur but est de faire des murales, […] mais on dirait que l’art est perdu dans les priorités, c’est comme un background.

Si on parle de féminisme, d’intersectionnalité ou même de gentrification, est-ce que pour toi le street art connaît des problèmes spécifiques par rapport à ces questions? De ce que je comprends, il peut être à la fois un vecteur de revendications et contribuer à perpétuer des inégalités. Par exemple, si l’on pense à la place des femmes ou des personnes marginalisées dans l’art, est-ce c’est une problématique qui se retrouve spécifiquement dans le street art?

Ce que tu dis est vrai et me fait penser que, justement, tu peux le voir de deux façons. Même dans le zine de OFF–MuralES, il y a des perspectives complètement différentes. Harpy va dire que le street art permet aux personnes marginalisées de prendre de l’espace et de faire ce qu’elles veulent, donc que c’est de l’empowerment. C’est la perspective de DSA aussi, de dire que l’on reprend l’espace, en tant que voix marginalisée, et qu’on l’utilise pour amener une critique. Mais d’un autre côté, il y a aussi une analyse de privilège. Dans le sens où, pour faire du street art, il y a des problèmes d’accessibilité, et la communauté en tant que telle reflète la société dans laquelle elle est. Donc il y a des dynamiques de pouvoir reliées au patriarcat, à la classe et à la race, à l’intérieur même des cercles qui se veulent être plus marginaux.

http://zolamtl.tumblr.com/post/121189631778

MURAL est financée par le boulevard St-Laurent et axé sur le Plateau. Est-ce qu’il y a un quartier spécifique où, selon toi, une initiative collective d’art de rue serait nécessaire?

Personnellement, j’en ai déjà fait, mais j’essaie vraiment de ne pas faire de street art sur le Plateau, parce que, justement, il y a comme un hype et c’est pas ça mon but quand j’en fais. Donc, je préfère pas nécessairement in situ, mais vu que je fais plus des trucs politiques, ça me fait vraiment plaisir d’être dans des quartiers plus politiques, comme dans Hochelag’. Il y a tellement de graffitis politiques que je me sens vraiment plus en contexte de savoir que c’est intégré dans un milieu où les luttes sont plus visibles dans la rue et sont présentes dans le quartier.

Pour des trucs plus collectifs, c’est une question qui mérite vraiment plus de réflexion, je pense que je ne suis vraiment pas aboutie dans mes actions là dessus, parce que ça touche entre autres aux questions de colonialisme. On est en territoire autochtone, donc c’est quoi notre légitimité sur un quartier plus qu’un autre? Ça amène aussi des questions de gentrification. Est-ce que d’aller faire du street art dans un quartier populaire, même si c’est un quartier engagé, ne va pas participer à la gentrification? L’an passé, DSA était dans le Mile-Ex, et on voulait vraiment être une présence politique, visuellement claire […]. Donc on a prit un lieu qui a vraiment un esprit de quartier, où il y a des gens qui habitent depuis longtemps. On voulait entrer en dialogue avec les gens de ce quartier, on ne voulait pas s’étendre ou se saupoudrer… Oui, on y a fait des contacts avec les gens et je pense que ça s’est bien passé. Mais au final, je me questionne parce nos murales sont près du Alexandraplatz. Le Mile-Ex est clairement un quartier en gentrification aujourd’hui, donc c’est quoi la répercussion d’avoir des murales et du street art là, même si on a vraiment voulu réfléchir à notre propre impact. Est-ce qu’on a réussit ou pas? Je nesais pas. C’est pas non plus noir et blanc, tu peux pas être in ou out de la gentrification non plus, donc c’est vraiment complexe comme question.

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À la lumière de ces différentes entrevues, ainsi que des problématiques abordées, il ressort que la tentative de commercialisation du street art est une chose qui n’en est qu’à ses débuts, avec l’émergence et l’essor d’initiatives comme le festival MURAL. La pratique du street art, voire sa définition même, continuera sans aucun doute d’évoluer et de faire l’objet de nombreux débats et contestations, à Montréal et ailleurs. Reste à avoir maintenant, si la cohabitation entre le street art traditionnel et un art légal et, il semble même, motivé et façonné par des questions financières, restera possible, ou s’il est à craindre que le street art revendicateur perde de sa force évocatrice avec le développement de l’«art public».

Pour voir plus d’oeuvres de Zola, vous pouvez également vous rendre sur son tumblr. Et si vous souhaitez en savoir plus sur la question de la tension entre street art illégal et art commercial, je vous recommande de regarder l’excellent film aux accents de documentaire Exit Through the Gift Shop, produit par le célèbre street artist Banksy.

Je remercie, en outre, Manuel Ausloos-Lalanda, pour l’enregistrement audio des entrevues, ainsi qu’Andrea O’Connor, pour son aide dans la composition de mes questions.

Écrit par Alexandra Bahary.

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